Frédéric Péchenard à Amiens : « Oui, la société est devenue plus violente »
Invité par l’association Amiens ville d’avenir, Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale (de 2007 à 2012) et actuel vice-président Les Républicains (LR) de la région Île-de-France chargé de la Sécurité, a animé une passionnante conférence mardi 13 février 2024 à l’espace Dewailly plein comme un œuf.
« Comment garantir la sécurité des citoyens ? » Tel était l’intitulé de la conférence animée par Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale, qui a attiré près de 200 personnes, mardi 13 février, à l’espace Dewailly. Après Olivier Mousson, président de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, Jeannette Bougrab, ex-secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et Brice Bohuon du groupe EDF, l’association Amiens Ville d’avenir a, de nouveau, proposé un débat d’une grande qualité.
Frédéric Péchenard, pourquoi avoir accepté l’invitation d’Aurélien Caron, président d’Amiens Ville d’avenir ?
Aurélien est un ami. Il était naturel pour moi de participer à cette conférence. Et puis, en dehors de mes fonctions de vice-président de la Région Île-de-France chargé de la Sécurité et de conseiller de Paris, j’ai toujours aimé faire de la pédagogie (il a longtemps été enseignant). Surtout quand j’ai du temps comme aujourd’hui. J’ai également trouvé intéressant d’organiser ce débat d’avenir en dehors des périodes électorales.
La société est-elle devenue plus violente comme l’a sous-entendu récemment le directeur interdépartemental de la police nationale lors de la présentation des chiffres préoccupants de la délinquance dans la Somme ?
Oui, je le crois d’autant plus facilement que pendant des années j’ai défendu le contraire. Il y a une violence physique et une violence des mots aussi. Je pense à la montée de l’extrême droite et de l’extrême gauche que je ne mets, toutefois, pas sur le même plan. Il y a des révolutionnaires et d’autres qui ne le sont pas. Les chaînes d’information continue apparues au moment de l’affaire Merah jouent aussi un rôle dans la perception qu’ont les gens. Tout comme les réseaux sociaux où on a parfois accès aux pires choses en temps réel.
L’année 2023 a été particulièrement traumatisante à Amiens avec des règlements de comptes meurtriers, des violences urbaines, de multiples féminicides, l’explosion des violences intrafamiliales, etc. C’est devenu le lot des villes moyennes ?
On voit des choses que l’on ne voyait pas il y a plusieurs années dans ce type de ville. Je pense aux trafics de drogue qui se multiplient. Quand il y a des règlements de comptes, ça veut dire que le milieu n’est pas stabilisé, qu’il n’y a pas de chef ou de parrain en d’autres mots. Quant aux féminicides, il n’y en a pas beaucoup plus qu’avant. On en parle plus et on a enfin compris que « le crime passionnel », comme les policiers et les magistrats l’ont longtemps qualifié, n’était pas moins grave qu’un crime tout court. Je considère que c’est même pire : il n’y a rien de plus grave que de tuer la femme qu’on a choisie, qu’on a aimée et qui a été la mère de ses enfants.
Certains, tels le réalisateur David Dufresne, l’avocat Arié Alimi ou encore la militante Assa Traoré, ont théorisé le concept de « violences policières systémiques », qu’en pensez-vous ?
C’est un terme qui ne veut rien dire. Il y a l’emploi de la force légitime face à des personnes qui ne veulent pas se faire arrêter ou qui ne veulent pas bouger. Après, il peut y avoir l’emploi d’une force illégitime qui porte un mot : bavure. Les bavures policières doivent être sanctionnées. L’ultra gauche joue là-dessus en disant que les violences policières sont systémiques et systématiques comme le racisme dans la police. C’est une absurdité, il suffit de voir le visage des policiers qui sont l’exact reflet de notre société diversifiée. Laisser dire le contraire est une monstruosité.
Le fait que les policiers soient jugés par leurs pairs n’est-il pas de nature à brouiller les choses en cas de bavure ?
Je ne crois pas. L’Inspection générale de la police nationale a une double mission : administrative et judiciaire. Un juge d’instruction, dont on dit qu’il est l’homme le plus puissant et le plus indépendant de France, est saisi en cas de plainte. Dire que l’IGPN – sous contrôle des magistrats dans le volet judiciaire – est inféodée à la police n’est pas vrai. Je rappelle que les policiers qui ont tabassé à mort Malik Oussekine dans les années 1980 sont passés aux assises ! Et c’est tant mieux.
Quelle place accordez-vous à la police municipale en tant que membre de la droite dite républicaine ? Faut-il l’armer comme c’est le cas dans de nombreuses villes moyennes mais pas à Amiens ?
À mon sens, le rôle de cette police n’est pas d’arrêter les voyous ou les trafiquants. Il est de faire respecter la tranquillité publique, c’est une police de proximité, complémentaire de la police nationale et de la gendarmerie. En revanche, je pense qu’elle doit être armée, non pas pour exercer ses missions mais pour se protéger. Quand on a écrit police dans le dos, on est malheureusement une cible. Et puis, les policiers municipaux sont bien souvent les premiers à arriver sur un incident grave. Lors de l’attentat à la basilique Notre-Dame de Nice en 2020, ce sont des municipaux armés qui sont parvenus à neutraliser le tueur. Sans arme, ils n’auraient pas pu faire grand-chose…
Beaucoup opposent prévention et répression dans le traitement de la sécurité alors que d’autres comme l’ancien préfet de la Somme Étienne Stoskopf privilégie une approche globale. Quelle est votre doctrine en la matière ?
Prévention et répression sont les deux jambes du même bonhomme. La prévention est inefficace sans la répression et vice-versa. Imaginez un cambrioleur parisien qui tape 500 maisons par an: s’il prend cinq ans de prison après son arrestation, c’est 2 500 plaintes de moins à traiter par la police. On est là dans la prévention à mes yeux et on peut faire le même raisonnement pour des agressions sexuelles.
Police et justice sont-elles sur la même longueur d’onde aujourd’hui ?
J’entends parfois « Les policiers arrêtent, les magistrats relâchent ». Ce n’est pas vrai. J’ai 25 ans de PJ dans les pattes et je peux vous dire que les policiers arrêtent et les magistrats condamnent. C’est après que ça coince avec l’exécution de la peine qui est dénaturée. Il y a 100 000 peines de prison qui ne sont pas exécutées en ce moment ! Je fais le même constat pour le recouvrement des amendes (48 %) et les Travaux d’intérêt général (TIG). Pour ma part, je suis favorable aux courtes peines d’emprisonnement (une semaine, 15 jours) comme on le fait au Danemark. Il faut donner du sens à la condamnation. Le philosophe italien Cesare de Beccaria écrivait en substance : « L’important dans une sanction, ce n’est pas sa sévérité, c’est sa certitude. »
Que pensez-vous de la réforme (contestée) de la police nationale entrée en vigueur le 1er janvier concernant notamment la police judiciaire (PJ) et le déploiement du travail en filière ?
J’ai bien compris l’idée de dire qu’il faut une seule direction départementale de la police nationale pour chaque département. C’est intellectuellement intéressant. Toutefois, j’ai une inquiétude : qui va travailler sur la criminalité organisée ? Les gens de la PJ, de la sécurité publique ? On connaît les difficultés du quotidien avec des dossiers qui s’amoncellent. Le risque est de parer au plus pressé et de délaisser les affaires liées au crime organisé qui menace la République et l’état de droit. Regardez ce qui se passe aux Pays-Bas où l’ancien ministre de la Justice, menacé de mort, est contraint de se cacher. Pour ma part, je suis favorable à des policiers spécialisés dans ce domaine.