S’il pense le pays mieux armé dix ans après les attaques de Paris, « les tensions internationales constituent aujourd’hui un vrai multiplicateur du risque intérieur », estime Thibault de Montbrial, expert du terrorisme.
Thibault de Montbrial est avocat, spécialiste du terrorisme et de la sécurité, président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI), et lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle au sein de la gendarmerie. Il donnera une conférence ce jeudi 13 novembre à Amiens, à 18h30 à l’espace Dewailly (à l’invitation d’Aurélien Caron, candidat aux élections municipales). Son nouveau livre France : le choc ou la chute (L’Observatoire), est publié depuis la mi-octobre.
Quel est le niveau de risque terroriste aujourd’hui regardé à l’aune des attaques du 13 novembre 2015 ?
On a beaucoup progressé. On est meilleur sur la sécurité. Mais l’idéologie islamiste s’est énormément développée en dix ans. Sur la menace projetée, elle se fait moins forte qu’en 2015, mais la France reste exposée. D’autant plus que cet été, tant A Qaida que l’État Islamique ont appelé à attaquer la France.
De qui peut venir le danger ?
Le pays se trouve de nouveau sous une grosse pression de groupes terroristes étrangers. Il existe aussi une menace endogène, de passage à l’acte d’individus seuls par des gens qui vivent en France biberonnés à la propagande, comme dans le cas de la récente attaque à l’Île d’Oléron par quelqu’un qui a utilisé tous les codes préconisés par les islamistes. Il y a aussi des passages à l’acte via des coups de couteau, catalysés par les suites du 7 octobre (NDLR : 2023 en Israël) et l’explosion de l’antisémitisme. Troisième type de risque, des gens partis en Syrie ou en Irak dans les années 2010, sont sortis ou sortent de prison ces temps-ci (il y en a plusieurs dizaines par an). Très peu sont déradicalisés. Ils ont le savoirfaire des techniques de combat, le prestige et la capacité à recruter et entraîner.
«Il n’y a pas assez de monde dans les services de renseignements par rapport au nombre de cibles à suivre. »
Diriez-vous que nous sommes davantage en sécurité en France qu’il y a 10 ans ?
Très difficile d’être catégorique. Sur le terrorisme stricto sensu, légèrement. Sur la violence en général,certainement pas.
Sur quels plans s’est-on amélioré ?
En équipement de police et gendarmerie ainsi qu’en renseignement, on a progressé. Les effectifs ont augmenté, même s’ils sont en incapacité de suivre tous les individus dangereux. Ils sont obligés de faire des choix. Nos magistrats spécialisés aussi se sont aguerris.
L’arsenal juridique a été renforcé également ?
Incontestablement. Une première grande loi de 2017 a fait rentrer dans le droit commun des outils antiterroristes utiles. Lors de grands événements par exemple, un périmètre « SILT » autorise chaque préfet avec le procureur, de façon limitée dans l’espace et en durée, de prendre des mesures qui dérogent au droit commun sur la fouille.
Dans le domaine de l’antiterrorisme, l’intelligence artificielle est-elle en marche ?
Jusqu’à maintenant, le Parlement a été frileux sur le refus d’insérer une dose d’identification faciale. C’est une aberration de se priver d’un outil de prévention qui fonctionne, pour vérifier la présence d’individus dangereux dans une foule. On peut assortir à cette technique les mêmes garanties appliquées à la vidéosurveillance.
Depuis les attentats, les élèves par exemple s’exercent dans les établissements à réagir en cas d’intrusion/attentats. La société en général at-elle acquis des réflexes ?
Là aussi, on a progressé. Les plots anti véhicules-béliers sont maintenant intégrés dans les aménagements urbains. Mais je trouve que la vigilance a baissé ces derniers temps, de la population, dans les patrouilles à certains endroits. Le fait que l’on n’ait pas eu de grosses attaques depuis un moment, et c’est tant mieux, laisse penser qu’on est à l’abri, alors que non. Selon les statistiques du procureur antiterroriste, il y a une vraie remontée du risque depuis un ou deux ans, et singulièrement depuis le 7 octobre.
Des terroristes condamnés sortent où vont sortir de prison désormais. Sait-on gérer ce sujet ?
Est-ce qu’on sait le faire ? Oui. Est-ce qu’on arrive à faire? Non. Lorsqu’un islamiste dangereux sort,
la pénitentiaire prévient la DGSI. Normalement, il n’y a pas de loupé à ce stade. Sauf qu’il n’y a pas assez de monde dans les services de renseignements par rapport au nombre de cibles à suivre. Il faut plusieurs dizaines d’agents pour surveiller quelqu’un 24h/24h. Ce qui oblige à des arbitrages.
« Jusqu’à maintenant, le Parlement a été frileux sur le refus d’insérer une dose d’identification faciale. C’est une aberration de se priver d’un outil de prévention qui fonctionne. »
Trois jeunes femmes ont été mises en examen et écrouées en octobre à Paris, soupçonnées d’un projet d’attentat.
Des femmes terroristes, est-ce un phénomène nouveau ?
Non. Repensons à la bande à Baader en Allemagne, à Action directe en France… les femmes y étaient des leaders. Elles ont toujours été très dangereuses, au moins aussi déterminées que les hommes sur le plan idéologique. On a longtemps pensé, à tort, qu’elles étaient des actrices mineures. Il y a beaucoup d’attentats commis par des femmes kamikazes au Moyen-Orient.
Avec le départ des armées françaises et européennes à la demande des juntes au pouvoir, le Sahel est-il devenu le générateur principal de risque terroriste pour nous ?
À côté du Moyen-Orient ou de la zone indo-pakistanaise, on voit se développer dans le secteur subsaharien des réseaux islamistes de plus en plus puissants. Sur leurs capacités de projection de commandos en Europe, ce n’est plus tant la question du comment qui prédomine que celle du quand.
«Le trinôme Russie-Algérie-Iran a un intérêt à nous affaiblir, »
Le changement de régime en Syrie est-il une bonne nouvelle au moins sur le plan du terrorisme ?
Trop tôt pour le dire. La chute de Bachar al-Assad ne peut pas être une mauvaise nouvelle. Mais est-ce que l’arrivée du président Ahmed al-Charaa en et une bonne ? Il est l’ancien chef de la branche syrienne d’AI Qaïda. Il dit avoir quitté l’engagement terroriste. Son régime est observé de près. Pour ma part, je suis dubitatif.
Les lycées des Hauts-de-France font l’objet depuis octobre d’une cyberattaque russe. Cette nouvelle forme de terrorisme n’est-elle pas devenue la menace majeure ?
On ne peut pas dire qu’entre une attaque en dur et le cyber, il y a un risque supérieur à un autre. Le trinôme Russie-Algérie-Iran a un intérêt à nous affaiblir par ses ingérences en jouant sur nos propres faiblesses. La catastrophe serait la combinaison des deux, y compris sous faux drapeaux, l’un manipulant l’autre, avec des envoyés par les Russes se faisant passer pour des islamistes convaincus, les gens ne sachant pas que des Russes seraient derrière. On peut imaginer des scénarios autour de nos organismes d’importance vitale (OIG), l’eau, l’énergie et les transmissions. Les tensions internationales constituent aujourd’hui un vrai multiplicateur du risque intérieur.
Gaël Rivallain
Reporter
grivallain@courrier-picard.fr
Article publié dans le Courrier Picard du jeudi 13 novembre 2025 (https://www.courrier-picard.fr/id673783/article/2025-11-12/attentats-du-13-novembre-le-pays-se-trouve-de-nouveau-sous-une-grosse-pression)

