Compte-rendu du 3ème débat d’avenir – Amiens Ville d’Avenir

Aurélien Caron (discours introductif)

« Bonsoir à toutes et à tous, tout d’abord, je voudrais vous remercier tous d’être là ce soir, toute l’équipe d’Amiens Ville d’Avenir, qui êtes venus pour assister à cette conférence et naturellement, Brice Bohuon d’avoir accepté de venir à Amiens pour animer ce débat. Alors, pour rentrer dans le sujet, d’abord, pourquoi l’énergie ?

L’énergie car c’est devenu en quelques années un enjeu majeur dans nos débats. En effet, nous pouvons penser d’abord au réchauffement climatique, à l’échelle planétaire, continental, nationale et enfin locale, sur notre territoire, notamment en Baie de Somme et dans nos zones humides. Au cœur de tous ces enjeux, il y a l’énergie. Elle est au cœur de notre civilisation. Nous l’employons à des fins économiques, dans notre travail, au sein du service public, de nos entreprises, mais aussi d’un point de vue plus personnel dans nos logements etc..

Aujourd’hui nous vivons un de ces moments marquants, ce que Régis Debré appelait un « changement de civilisation ».

Alors, quelle place pour EDF dans tout cela ? Électricité de France est producteur ainsi que le distributeur d’énergie historique dans notre pays. Sa place est d’autant plus importante que ses engagements portent sur l’entièreté du réseau électrique national. Je pense notamment à leur engagement neutralité carbone en 2050, au niveau international et local. Dont les premiers fruits seront à cueillir dans notre pays. C’est d’autant plus marquant que depuis juin dernier, EDF a été renationalisé à 100 %.

Le niveau local n’est pas en reste puisqu’ici à Amiens, la ville s’est engagée sur la période 2014-2050 à mettre tout en œuvre pour atteindre l’autonomie énergétique. Cela fait naturellement écho à une tendance générale d’électrification de notre société, avec l’arrivée des véhicules électriques et hybrides ainsi que de leurs bornes de recharge, mais aussi l’arrivée de nouveaux débats dont nous, samariens ne sommes pas en reste avec la question notamment de la place de l’éolien, mais cela, Brice nous en parlera mieux que quiconque.

Pour présenter Brice rapidement, nous nous sommes connus alors que nous étions tous deux juges administratifs. Puis il est parti vers de nouvelles aventures, à la SNCF, puis chez Transdev, à la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie), au Conseil Régional d’Île-de-France et désormais, depuis janvier 2023, secrétaire général du groupe chez EDF.

Vous pouvez l’applaudir comme il se doit, je vous remercie. »

Bruce Bohuon

« Merci Aurélien pour ces mots, alors oui, l’énergie est un sujet qui m’est cher à titre personnel et professionnel,d’autant que c’est un sujet brûlant. Il y a encore deux ou trois ans, on considérait l’énergie comme un acquis, nous n’avions ni des problèmes de prix, ni des problèmes d’approvisionnement, notamment de gaz. En somme, avoir de l’électricité pas chère, décarbonée etc.. cela nous paraissait naturel et normal en France. Pourtant, ça n’est pas un acquis, et l’actualité nous le démontre malheureusement. Si j’ai pu venir en train tout à l’heure, c’est par les investissements à long terme depuis trente voire quarante ans. Et on a vu sur ces dernières années, que lorsque l’on cessait de réfléchir sur le long terme, cela pouvait poser des problèmes. Il faut donc naturellement se poser la question du temps long et Amiens Ville d’Avenir, je dois les saluer, le fait très bien.

Mon idée, elle a un principe simple : l’énergie de demain doit être décarbonée. C’est nécessaire. J’ai deux chiffres pour vous : 2 % et 2/3.

2%2/3
Deux pourcents, c’est le résultat des engagements actuels au niveau planétaire par tous les États signataires des accords de Paris 2015. Et encore, ces chiffres sont certes alarmants, mais on doit rappeler qu’il y a eu l’épisode Covid-19 en 2020 où les émissions de CO2 ont baissé massivement. Donc, à l’heure actuelle, si les États maintiennent leur niveau d’engagement tel que décidé en 2015, si nous voulons atteindre la neutralité carbone en 2050, nous devrions être à 30 % actuellement.L’autre chiffe : c’est deux-tiers. C’est la part des énergies fossiles en France dans notre consommation d’énergie finale. Il nous faut continuer de la réduire, jusque 1/3 pour finalement atteindre aux environs de 2050 100 % d’énergies renouvelables et/ou décarbonées.

Je veux aussi avoir un mot clair pour les entreprises, je sais qu’il y a des chefs d’entreprise et des entrepreneures parmi-nous ce soir. L’énergie n’est pas une limite, ni une contrainte. La lutte contre la pollution doit être positive à la fois pour la planète, et pour nos entreprises nationales. Tout d’abord, car la production et la consommation localisée permet naturellement moins de pollution, mais aussi, car il en va de notre souveraineté. Les entreprises consomment de l’énergie, si demain nous ne sommes plus en mesure de la produire, nous devenons dépendants de puissances étrangères. Nous avons parlé de la Russie et de son gaz, mais nous pouvons aussi parler de l’Allemagne et de son charbon, des États-Unis et Canada avec leur gaz de schiste etc.. Donc la réduction de la pollution se fera aussi par la réduction de notre balance commerciale négative.

J’ai souvent l’habitude de dire qu’en matière d’électrification de notre société et de décarbonation de notre production, la route est droite et la pente est rude. Et pour produire décarboné aujourd’hui vous n’avez pas 36 solutions, les énergies non pilotables (éolien etc..) ou bien, la spécialité française, le nucléaire. Mais je crois que nous sommes sur la bonne voie, le Président de la République a récemment annoncé un retour d’investissements massifs dans le parc nucléaire français. Quatorze EPR (Réacteurs pressurisés européens) sont actuellement en fin de construction et ont été lancé cette année et produiront à partir du 1er janvier prochain, et huit arriveront bientôt.

L’électrification passe aussi par la chute de certaines barrières, je pense notamment aux permis de construire, et à toutes les récalcitrantes auxquels nous pouvons, légitimement faire face. C’est le second principe que j’aimerai exposer.

Une des caractéristiques en matière d’innovation énergétique, c’est la rupture rapide avec les attentes autour de l’innovation. Deux exemples :

  • Nous mettons en œuvre de nouvelles générations d’éoliennes offshore, donc en mer. Comme vous le savez bien ici dans la Somme, les anciennes générations sont « posées » dans le sol, le souci c’est qu’ils fonctionnent quand le plancher de la mer n’est pas trop profond, ce qui explique l’avancement des Allemands en la matière puisque la mer du Nord et la mer Baltique ne sont, comparativement à l’océan Atlantique et la Manche, pas très profondes. Sans parler des potentiels risques pour les fonds marins, et du coup que cela représente. En France c’est donc plus compliqué de développer ces nouvelles générations. La nouvelle génération d’éolien est dite « flottante ». Elles ont néanmoins certains avantages, comme le fait qu’il y ait moins de soucis de visibilité puisque plus loin. Le Gouvernement français a récemment lancé un premier appel d’offre pour mettre en place le tout premier parc éolien flottant, et vous l’imaginez bien, EDF s’est portée candidate. La réponse en 2024. Ce sera au sud Bretagne.
  • L’autre technologie majeure qui est en plein développement, vous avez sûrement vu passer récemment dans les médias, c’est le mini réacteur-nucléaire (SMR). Les plus anciennes générations, les 4, sont en passe d’être développé en ce moment pour être démocratisés. Enfin, nous travaillons aussi à la génération 3, comme ceux que l’on connaît aujourd’hui en beaucoup plus grands, qu’on va miniaturiser pour moins de puissance. On passerait ainsi de 300 à 400 mégawatts contre 900 à 1600 dans une centrale normale. Ils ont plusieurs utilités, d’abord leur taille non négligeable, mais aussi le fait qu’ils peuvent répondre à des besoins ponctuels comme pour les entreprises, les petites communes et la production d’énergie verte autre comme le gaz par exemple. Défaut majeur jusque-là, c’est que ces projets sont tous russes, chinois, américains ou indiens. En France on a du retard, mais EDF a commencé et nous sommes aujourd’hui les premiers et le seul projet français et européen. Ce qui ferait du réacteur Neward le seul projet à l’échelle du marché européen.

Autre principe qui me tient à cœur, je crois profondément que l’énergie de demain sera plus locale et solidaire : locale, car la transformation des systèmes de production est aujourd’hui, parfois trop éloignée des villes et des zones rurales. Et les nouvelles infrastructures de production qui arrivent sont diffuses dans les territoires. Nous devons plus investir dans l’autonomie énergétique des villes, c’est le cas à Amiens, avec votre réseau de chaleur, vos investissements dans le photovoltaïques.. Moi je vais vous donner deux exemples :

  • Le photovoltaïque en ville d’une part, qui se développe à une grande échelle, comme en Australie ou en Californie, je suis allé à San Francisco, il n’y a pas un toit aujourd’hui sans son panneau solaire. Mais une fois de plus, la France a compris les efforts nécessaires et connaît depuis peu un réel intérêt dans la production solaire. Entre 2018 et 2022, nous produisions 1GW de puissance énergétique solaire contre 16 GW aujourd’hui et désormais on est à plus de 4GW par an.
  • Enfin, je pense aussi à la géothermie qui va se développer dans les années à venir, car c’est une façon de produire de l’énergie avec beaucoup de vertus.

Pour autant la production doit être aussi solidaire. Car la tentation de produire à l’échelle locale ne doit jamais se supplanter à l’intérêt international, la planète se réchauffe, et aucun pays n’y échappera. Nous devons lutter contre cette tentation à l’autonomisation ou à l’isolation. Pour des raisons économiques aussi car à grande échelle (métropole etc …) le maillage important devient nécessaire car moins chère, mais aussi pour des raisons éthiques. À la foi au niveau des efforts de sobriété et aussi par solidarité à l’échelle européenne. Sans nos voisins l’hiver dernier, nous aurions connu une situation bien pire.

Dernier principe que j’aimerai développer, et ensuite je m’arrêterais là, la ville de demain doit être compétitive pour les consommateurs. D’abord par la sobriété, car moins de demande et de consommation d’énergie amène à une baisse de la tension du réseau et donc une baisse des prix. Naturellement, cela doit se faire sans se forcer, en prenant l’habitude de débrancher les appareils, etc. qui sont des choses qui collectivement sont marquantes. Cette compétitivité, elle passera aussi par les choix que nous ferons demain, dans l’équilibrage de notre mix énergétique. Ces choix peuvent parfois amener de bonnes surprises. Je m’inspire de l’actualité, 2,1 milliards d’euros d’investissements d’un laboratoire pharmaceutique danois ont été lancés à Chartres car ils sont convaincus que la relance écologique et énergétique proposée par la France est la plus complète, fiable et la plus sûre pour eux et l’empreinte carbone de leur activité.

Je vous laisse désormais la parole, je vous remercie. »