« Longtemps avant que le moment fixé n’arrive, l’élection devient la plus grande, et pour ainsi dire l’unique affaire qui préoccupe les esprits. (…) le président est absorbé par le soin de se défendre. Il ne gouverne plus dans l’intérêt de l’Etat, mais dans celui de sa réélection ; il se prosterne devant la majorité, et souvent, au lieu de résister à ses passions, comme son devoir l’y oblige, il court au-devant de ses caprices », c’est ainsi qu’Alexis de Tocqueville décrit l’état d’esprit d’un président qui cherche à se faire réélire dans son ouvrage De la démocratie en Amérique (1835). Même si Tocqueville reconnait qu’empêcher un président de se représenter « paraît, au premier abord, contraire à la raison » puisqu’une démocratie se prive d’une personnalité ayant l’expérience du pouvoir, il défend néanmoins avec force l’absence de rééligibilité des élus qui les entraîne souvent à privilégier leurs intérêts particuliers sur l’intérêt général.
En s’exprimant en faveur d’une troisième candidature d’Emmanuel Macron en 2027, ce que notre Constitution interdit depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 en prévoyant à son article 6 que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », Richard Ferrand et Roselyne Bachelot ont relancé le débat de la limitation du cumul dans le temps des mandats électifs. Cette question a marqué notre Histoire.
Le 2 août 1802, Napoléon Bonaparte est proclamé Premier consul à vie alors qu’il avait d’abord été désigné pour dix ans. Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 de son neveu, Louis-Napoléon Bonaparte, s’explique par l’échec de la révision de la Constitution qui l’empêchait de se représenter pour un nouveau mandat. L’abolition d’une limite temporelle au pouvoir est souvent le symbole d’une dérive autoritaire. Nous en avons des exemples aujourd’hui. La Constitution de Biélorussie prévoyait un maximum de deux mandats présidentiels, elle a été modifiée pour permettre à Alexandre Loukachenko de se maintenir au pouvoir depuis 1994. En 2018, le Parti communiste chinois a offert à Xi Jinping de devenir président à vie en supprimant la limitation de ses mandats qui était fixée à dix ans. Vladimir Poutine a lui aussi changé la Constitution russe en 2020 pour demeurer président jusqu’en 2036 !
Dans une démocratie, limiter dans le temps l’exercice des responsabilités est sain. Le changement obligatoire du titulaire du pouvoir favorise le renouvellement, encourage l’expression d’idées nouvelles, empêche le retour des féodalités et repousse le sentiment qui guette tout responsable de se considérer comme irremplaçable. Plutôt que de nous inspirer des pires régimes qui existent actuellement comme le suggèrent ces anciens ministres moins bonapartistes que flatteurs, réfléchissons à la généralisation de la limitation des mandats dans le temps aux responsables politiques locaux et aux parlementaires français et européens.
Gardons en mémoire les mots du président Nicolas Sarkozy lors de son discours d’Epinal du 12 juillet 2007 relatif à nos institutions : « Je pense que l’énergie que l’on met à durer, on ne la met pas à agir. Moi, j’ai été élu pour agir, pas pour durer. »