Aurélien Caron, d’Amiens (Somme), conteste le fait que l’adoption de la loi immigration soit une victoire idéologique du Rassemblement national et remet dans sa perspective la notion de « préférence nationale », alors que le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision sur le texte ce 25 janvier.
Que peut dire le Conseil constitutionnel de la loi immigration ? « Les grandes lois sociales de la Troisième République – sur les accidents du travail (1898), pour les vieillards et les indigents (1905) – étaient destinées aux seuls nationaux. La loi sur les syndicats de 1884 excluait les étrangers des instances dirigeantes et la loi sur les prud’hommes leur interdisait de participer aux élections des délégués ouvriers » écrit la sociologue Dominique Schnapper dans son livre De la démocratie en France (2017). Elle nous rappelle que l’idée de « préférence nationale », dont de nombreux protagonistes dénoncent la réapparition dans la récente loi immigration, a marqué l’Histoire de notre République.
C’est très progressivement que le statut juridique des étrangers qui séjournent régulièrement en France a été assimilé à celui des nationaux en matière de droits économiques et sociaux. Il existe encore aujourd’hui des emplois publics qui sont réservés aux nationaux car, conformément à ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel en 1998 : « ne sauraient être confiées à des personnes de nationalité étrangère, ou représentant un organisme international, des fonctions inséparables de l’exercice de la souveraineté nationale ». Cette préférence persiste aussi dans l’attribution du droit de vote aux élections aux seuls citoyens français ou citoyens de l’Union européenne.
Il est donc faux d’affirmer que le vote de la loi immigration est une victoire idéologique du Rassemblement national puisque le concept de « préférence nationale » ne lui a jamais appartenu et ne lui appartient pas. Il est tout aussi inexact d’affirmer que la « préférence nationale », entendue au sens du théoricien d’extrême droite Jean-Yves Le Gallou, qui consiste à « réserver aux Français le bénéfice des législations conçues en fonction de leurs besoins et du développement de leur pays », est réintroduite par la loi immigration. Si le Conseil constitutionnel juge depuis longtemps que le principe d’égalité interdit d’exclure du bénéfice d’une allocation sociale les étrangers résidant régulièrement en France, en conditionner l’octroi à une durée de présence régulière minimale sur notre territoire, comme le fait la loi immigration, est bien différent. Cette conditionnalité n’a rien à voir avec la notion de « préférence nationale » frontiste, elle consiste uniquement à réserver le bénéfice des aides sociales non contributives aux étrangers qui ont construit des liens forts et durables avec la France. En 2011, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs estimé conforme à la Constitution l’introduction dans la loi d’un délai de cinq ans pour l’accès des étrangers en situation régulière au revenu de solidarité active (RSA). D’autres pays comme le Danemark mettent aussi en place ce type de conditions.
Beaucoup de dispositions très critiquées de cette loi ont, soit déjà été validées par le Conseil constitutionnel par le passé, soit déjà été en vigueur dans notre pays au cours des quarante dernières années et supprimées en raison des alternances politiques. C’est le cas pour le rétablissement du délit de séjour irrégulier qui a été déclaré conforme à notre Constitution en 2011 par le Conseil constitutionnel. Il en a été de même en 1993 pour le durcissement des conditions du regroupement familial avec une durée minimale pour en bénéficier qui est portée de 18 à 24 mois. La liste des exemples est longue.
Cette loi immigration, qui reprend beaucoup de dispositions de la loi dite « Pasqua » du 24 août 1993, a un intérêt moins juridique que politique. Elle illustre le retour d’un clivage entre la droite et la gauche utile à la vie démocratique de notre pays.