Invité par l’association Amiens ville d’avenir pour parler d’Europe à quelques mois des élections européennes (9 juin), Michel Barnier (LR), ancien ministre, ex-commissaire européen et ex-négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit, a animé une passionnante conférence mardi 23 avril 2024 à l’espace Dewailly à Amiens.
« Parlons d’Europe ! » Tel était l’intitulé de la conférence animée mardi 23 avril 2024 à l’espace Dewailly, à Amiens, par Michel Barnier, ancien ministre de l’Environnement, des Affaires européennes, des Affaires étrangères et de l’Agriculture et de la Pêche sous les présidences de François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Il fut également commissaire européen et négociateur en chef de l’Union européenne (UE) pour le Brexit.
Après Olivier Mousson, président de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, Jeannette Bougrab, ex-secrétaire d’État chargée de la Jeunesse, Brice Bohuon du groupe EDF, et Frédéric Péchenard, ex-directeur général de la police nationale, l’association Amiens ville d’avenir a, de nouveau, proposé un débat d’une grande qualité qui a attiré plus de 200 personnes.
Michel Barnier, que devenez-vous ?
Je suis conseiller spécial sur les affaires étrangères chez Les Républicains (LR) et responsable de la relation avec le Parti populaire européen (PPE), groupe parlementaire du centre et de la droite au Parlement européen. Je n’ai plus de fonctions exécutives mais je ne me sens pas en retraite ! On ne met jamais ses convictions en retraite, quelles qu’elles soient.
N’avez-vous jamais été tenté de céder aux sirènes du macronisme comme d’autres ténors de la droite dite républicaine ?
Non car la loyauté donne la liberté de dire ce que l’on pense vraiment, y compris chez ma famille politique où j’ai parfois été minoritaire sur certains sujets.
Pas encore finalisée, la liste LR pour les Européennes est conduite par François-Xavier Bellamy, suivi de près par la céréalière Céline Imart et le général Christophe Gomart. Pourriez-vous y figurer ?
Notre famille a une place importante au niveau national et européen. Elle a une histoire, un héritage à défendre sans vouloir vivre dans la nostalgie. François-Xavier Bellamy est un élu compétent, actif et respecté au parlement de Strasbourg. Alors oui, on m’a sollicité pour être candidat aux Européennes – j’avais déjà été tête de liste en 2009 – mais je pense qu’il fallait un signal de renouvellement et je n’ai pas besoin que l’on me rappelle mon âge qui est celui de la transmission (NDLR : il a 73 ans). Je n’ai pas d’agenda personnel, je suis toujours prêt à être utile.
Vous êtes venus à plusieurs reprises dans la Somme, notamment après les inondations de 2001, en sortant le carnet de chèques en votre qualité de commissaire européen à la Politique régionale via le Fonds de solidarité créé en 2002. Comment expliquez-vous cette défiance que l’on observe un peu partout à l’égard de l’UE qui n’a jamais semblé si loin des peuples malgré les aides diverses et le progrès qu’elle peut apporter ?
Il y a plein de choses qui ne vont pas bien à Bruxelles. L’Europe a fait des erreurs en abusant des réglementations, en étant ultralibérale à une certaine époque et en laissant se développer une bureaucratie. Quand les bureaucrates prennent le pouvoir, à Bruxelles ou à Paris, c’est parce que les hommes et les femmes politiques leur ont laissé. En parallèle, vous avez des nationalistes comme Marine Le Pen ou Nigel Farage, lors du Brexit, qui utilisent les peurs et le sentiment populaire d’abandon souvent légitimes et auxquels on doit apporter une réponse. Je rappelle d’ailleurs que Mme Le Pen n’a toujours pas changé d’opinion : elle reste favorable à une sortie de la France de l’UE.
Comment réagissez-vous aux difficultés économiques et sociales que rencontre l’Angleterre huit ans après le Brexit ?
Je ne m’en réjouis pas. Toutes ses difficultés ne sont pas forcément liées au Brexit mais elles sont aggravées par sa sortie du marché unique fort de 450 millions de citoyens-consommateurs et de 22 millions d’entreprises. Dans le monde actuel, si on n’est pas ensemble, on est foutus ! Au risque de devenir simples spectateurs de notre avenir. On doit être patriotes et européens à la fois.
Malgré tout, on se dirige, à nouveau, vers une forte abstention le 9 juin…
L’abstention est une forme de protestation. Je dis aux abstentionnistes : « Occupez-vous de la politique sinon c’est la politique qui s’occupera de vous ». Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent, comme le député européen Bernard Guetta (Renaissance), qu’il y a une nation européenne. Il y a 27 nations avec 24 langues. Le général de Gaulle disait : « Il ne faut pas que l’Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons. » Il faut garder nos identités nationales et nos différences.
À ce propos, n’est-ce pas étonnant de voir le porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle placé pour la première fois sous le contrôle de l’Otan et sous commandement américain pour une mission commune de 15 jours ?
Ça ne me choque pas dans la mesure où nous sommes dans l’alliance atlantique, qui plus est dans le commandement intégré. Quant à notre force de dissuasion nucléaire, nous en gardons la maîtrise.
À l’heure de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, du conflit au Proche-Orient ou encore de la menace iranienne, comment articuler l’Europe de la défense ?
Il faut tout d’abord regarder ce qui se passe aux États-Unis où Donald Trump a des chances d’être le prochain président ce que je ne souhaite pas. Il faut faire attention et écouter ce qu’il dit car il le fera. Il a clairement un discours anti-européen et veut mener une guerre protectionniste. À nous, Européens, d’organiser notre défense car personne ne le fera à notre place. Ensemble, nous restons une puissance mondiale, nous restons à la table.
Faut-il entrer dans une « économie de guerre » comme le souligne le président Emmanuel Macron ?
Il faut être prêt et faire davantage pour notre défense qui doit être au service d’une diplomatie. Sur le conflit israélo-palestinien, je pense que la sécurité d’Israël n’est pas négociable. Maintenant, il faut que ces deux peuples se parlent.
Le monde paysan français traverse une crise profonde, êtes-vous surpris ?
Non. J’ai eu l’honneur d’être le ministre des agriculteurs et des pêcheurs durant deux ans. Un grand nombre d’entre eux sont à bout car ils ne gagnent pas leur vie alors qu’ils travaillent beaucoup. Sur la question du revenu minimum, je pense qu’il faut agir par branche et par secteur en appliquant Egalim. Tout en s’assurant d’un prix juste des produits. Il faut aussi agir sur la concurrence déloyale des produits venant de l’extérieur, parfois d’Europe (vin, miel, viandes…). Depuis dix ans, il y a aussi une inflation normative, un excès de normes, qui paralysent les paysans. Je suis opposé à cette idée de la décroissance agricole. Certains à Bruxelles disent : « Pour polluer moins, il faut produire moins. » Non, on peut polluer moins et produire plus ! En s’appuyant notamment sur la recherche.