En rencontrant Aurélien Caron, on sent la passion politique qui couve sous le discours du haut fonctionnaire.
La nomination à Matignon de Michel Barnier lui donnera peut-être l’occasion de concilier devoir et passion.
L’atmosphère ce soir là, près du Palais royal, semble légèrement plus électrique que d’habitude. Est-ce parce que les olympiades paralympiques rendent plus acrobatique encore la circulation dans les rues de Paris, ou bien parce que la rentrée a mis un terme à l’insouciance estivale ? Ou surtout parce que non loin, de l’autre côté de la Seine, à l’heure où nous devisons s’opère enfin la passation de pouvoir tant attendue entre l’ancien Premier ministre et son successeur enfin désigné ?
Reste que sous ses dehors de faux naïf, avec sa façon bien à lui de se masser les tempes à chaque nouvelle question, comme s’il était absorbé tout entier par notre conversation, Aurélien Caron doit bien voir une part de ses pensées qui virevoltent là-bas, vers Matignon où désormais le destin de sa famille politique – et de nombre de ses amis – va se jouer. Car le jeune énarque ne s’en cache pas : proche de Michel Barnier, investi à ses côtés dans la bataille des élections européennes pour laquelle ils ont tous deux oeuvré à donner aux Républicains un cap et une doctrine, il fait partie de ceux dont le nouveau chef du gouvernement pourrait vouloir s’entourer. L’hypothèse est toutefois vite éludée : « on verra, ça ne dépend pas de moi… Et Michel connaît bien d’autres personnes plus compétentes ! » sourit-il.
Mais bien qu’il s’en défende par une modestie de circonstance, Aurélien Caron a tout de même plus d’une corde à son arc. Même si son avenir politique semble confronté à un plafond de verre statistique, fait-il observer avec humour : « Je viens d’Amiens… mathématiquement, la probabilité d’avoir un autre président de la République originaire de la même ville est nulle ! » Reste que la Picardie est indéniablement une terre politique. Avant Emmanuel Macron ou lui, Gilles de Robien en fut originaire, comme aussi Najat Vallaud-Belkacem. « Mais aujourd’hui, le département de la Somme est quadrillé par la France insoumise et le Rassemblement national, qui se partagent les circonscriptions. » Entre Jean-Philippe Tanguy et François Ruffin, pas facile pour la droite de s’y faire encore entendre – mais Aurélien Caron ne craint pas les difficultés. Voué depuis longtemps au service de l’État et des politiques publiques, ce fils de fonctionnaires entre à Sciences Po, voyage, rencontre sa future épouse au détour d’un stage à Berlin, et étend aux frontières de l’Europe son ambition et sa vision politiques. Une première infortune au concours de l’ENA ne le décourage pas ; la seconde est la bonne, et il sort « dans la botte », libre donc de choisir le Conseil d’État. « J’ai eu beaucoup de chance, car c’est un choix exceptionnel pour servir l’Etat. Six ans après l’ENA, je constate que certains camarades qui avaient choisi plutôt des corps d’inspection travaillent aujourd’hui dans le secteur privé, et c’est très bien aussi, mais pour ma part je voulais m’engager au service de l’État ! » Lui s’autorise seulement une brève parenthèse d’un an en administration déconcentrée à l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France, comme chef de cabinet, où il se forge une solide expérience de terrain en contribuant à mettre sur pied les centres de vaccination que la situation sanitaire exige. Puis le calendrier électoral le précipite dans l’arène politique : candidat malheureux aux élections législatives de 2022, il rejoint le parti Les Républicains comme directeur des études, à la suite d’Emmanuelle Mignon, un exemple pour lui. Et fait faire des insomnies à Éric Ciotti : Les Républicains lancent leurs « nuits », nuit de l’IA, nuit de l’écologie… pour réfléchir au futur programme des élections européennes, et réinvestir la bataille des idées. Dans le même temps, il lance sous l’autorité de Guillaume Larrivé l’Institut La France Demain, un think-tank adossé à l’appareil du parti. Puis arrivent les européennes, pour lesquelles Aurélien Caron est investi sur la liste de François-Xavier Bellamy. Après quoi les tribulations du parti, « trahi » par son président selon le mot d’Aurélien Caron, le poussent à la démission et à revenir au Conseil d’État où il siège désormais à la section des finances.
Autant d’expériences et d’allers et retours entre le terrain et la capitale, le pays et ses voisins européens… qui furent pour lui l’occasion d’une méditation sur la place irremplaçable de l’État, dont il n’est ni un thuriféraire béat, ni un adversaire déclaré. « Il y a un vrai besoin d’État, et d’efficacité des politiques publiques. Quand on fait une campagne de terrain, on est confrontés à des réalités très fortes : sentiment de dépossession, d’absence de maîtrise, parfois au désespoir… Pour redonner de l’espérance, l’Etat est indispensable même si on ne peut pas tout en attendre ». Et un fossé qui se creuse, aussi, entre des fragments de société qui ne vivent plus ensemble – et qu’Aurélien Caron tente à sa mesure de résorber, en fondant et présidant depuis plus de dix ans l’association des anciens de son lycée Madeleine Michelis.
Sans bien qu’on sache comment il en trouve le loisir, il se définit volontiers encore comme grand lecteur – et passionné d’écriture. Fera-t-il un jour la rentrée littéraire ? Il aurait, à l’en croire, quelques projets qui le travaillent… un livre sur sa vision de l’Europe, par exemple. Nourri des feuillets noircis de son journal de bord, une habitude qu’il a prise depuis longtemps déjà de tout consigner sous la plume. Mais où s’écriront donc les prochaines
pages ?
Par Paul Sugy
Titre Original : Aurélien Caron, entre devoir et passion
Article publié dans La Revue parlementaire La Lettre du Pouvoir – n°1169 / 9 septembre 2024. Lien vers l’article : https://www.larevueparlementaire.fr/articles-revue-parlementaire/4715-aurelien-caron-entre-devoir-et-passion