Qui jugera les juges (constitutionnels) ?

« Cour suprême du musée Grévin, chapeau dérisoire d’une dérisoire démocratie, (…) il n’a jamais eu d’autre utilité que de servir de garçon de courses au général de Gaulle chaque fois que ce dernier a cru bon de l’employer à cet usage », c’est avec ces mots durs que François Mitterrand décrivait le Conseil constitutionnel dans son ouvrage Le coup d’Etat permanent (1964). Le général de Gaulle n’était pas moins critique lorsque le Conseil d’Etat annula en 1962 l’une de ses ordonnances en parlant dans ses Mémoires d’espoir d’« intolérable usurpation » de la part de juges représentant d’un « Corps abusif » dont il tenait la décision pour nulle et non avenue. Il finira pourtant par l’accepter tout comme François Mitterrand, devenu Président de la République, qui expliquait dans un entretien d’avril 1988 que le Conseil constitutionnel avait trouvé son « rythme de croisière ».

La critique du Conseil constitutionnel a repris de la vigueur cette année lorsque ce dernier a validé le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et rejeté la procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) sur ce sujet. Manque d’impartialité et d’indépendance, justice au rabais voire sous influence, les remises en cause, souvent anciennes, ont refait surface. La professeure de droit public Lauréline Fontaine conclut ainsi son récent ouvrage La Constitution maltraitée (2023) : « L’histoire selon laquelle le Conseil constitutionnel est le défenseur des libertés est largement exagérée, voire complètement infondée ».

C’est oublier que ce n’est pas aux juges mais au peuple et à ses représentants de trancher les grands débats de société. En matière économique, le Conseil constitutionnel a validé successivement des lois de nationalisation ou de privatisation. Dans le domaine social, il a validé en 2013 la loi ouvrant le mariage ainsi que l’adoption aux couples de personnes de même sexe en laissant une marge d’appréciation au législateur. Il n’a pas vocation à inverser des majorités parlementaires démocratiquement élues, fussent-elles relatives.

Le Conseil constitutionnel est le gardien d’un équilibre toujours instable entre les libertés et les droits fondamentaux des individus et les exigences de la vie collective et de l’action publique. Il doit éviter le « gouvernement des juges », formule qui apparait dès 1921 sous la plume du professeur Edouard Lambert, en enfermant le décideur politique dans une nasse de principes ou de droits-créances à valeur constitutionnelle qui traduisent davantage la volonté d’un groupe irresponsable que la préservation du contrat social fondamental de notre République. Si le juge se met à gouverner alors nous aboutirons à l’impuissance publique, source de frustrations infinies pour les citoyens.

Dans notre démocratie, la source du pouvoir est le peuple, les juges des juges sont les citoyennes et les citoyens. C’est pourquoi les débats qui portent sur les méthodes de nomination des juges, dont dépendent nous disait le général de Gaulle « la condition de l’homme et les assises de l’Etat », mais aussi les garanties de leurs compétences et de leur indépendance sont toujours légitimes. N’attendons toutefois pas du Conseil constitutionnel qu’il fixe l’âge légal de départ à la retraite, règle la question du droit à mourir dans la dignité ou établisse les limites de l’intelligence artificielle, ce n’est pas son rôle mais le nôtre !

Article publié dans le Courrier Picard le 19 Juin 2023. Lien vers l’article : https://www.courrier-picard.fr/id424718/article/2023-06-19/qui-jugera-les-juges-constitutionnels