«Le macronisme porte la lourde responsabilité d’une montée des extrêmes sans précédent dans la France de l’après-guerre»
« Récuser le partage entre droite et gauche, c’est encore s’y inscrire, fût-ce dans la perspective de son dépassement. En annonçant son dépérissement, on s’y enfonce » écrivait Marcel Gauchet au chapitre « La droite et la gauche » de l’ouvrage collectif Les lieux de mémoire (1992). Pour l’historien, la centralité obsédante du clivage entre la droite et la gauche n’est pas le fruit du hasard mais de l’Histoire de France et de la nécessité, pour le bon fonctionnement du suffrage universel, d’une « simplification extrême des options offertes aux citoyens ».
Historiquement, ce sont les forces politiques extrémistes et en particulier l’extrême-droite qui ont réfuté cette division entre la droite et la gauche qui remonte à la Révolution. On identifie l’apparition du mot d’ordre « ni droite ni gauche » en 1927 dans l’ouvrage de Georges Valois intitulé Le Fascisme. Jean-Marie Le Pen utilisait régulièrement dans les années 2000 le néologisme « UMPS » pour renvoyer dos à dos la gauche et la droite. Pourtant, c’est Emmanuel Macron qui a repris ce slogan dans son livre Révolution (2016) en proposant un nouveau clivage politique, celui des « passéistes » contre les « progressistes », des « extrêmes » contre les « modérés », des arriérés contre le camp de la raison.
Le macronisme porte la lourde responsabilité d’une montée des extrêmes sans précédent dans la France de l’après-guerre. En 2017, Emmanuel Macron avait promis qu’il ferait tout pour qu’il n’y ait « plus aucune raison de voter pour les extrêmes ». Sept ans plus tard, c’est un échec. La raison en est simple, le macronisme incarne lui-même une forme d’extrémisme politique, celui de l’extrême-centre décrit par l’historien Pierre Serna dans son ouvrage L’extrême centre ou le poison français (1789-2019) (2019), terreau fertile pour l’extrême-droite et pour l’extrême-gauche.
Cet extrémisme centriste possède plusieurs caractéristiques. D’abord, le girouettisme politique décomplexé de ses représentants qui n’ont aucune difficulté à tourner casaque à de multiples reprises sous couvert de défense de l’intérêt général. Cet opportunisme permanent et les nombreux débauchages individuels depuis 2017 nourrissent la rhétorique du « tous pourris » qui alimente le vote protestataire. Ensuite, sa volonté d’hégémonie totale sur la droite et sur la gauche pour organiser son face à face avec les seuls extrêmes qui sont, en réalité, la garantie de son maintien aux affaires. L’alternance consécutive à l’usure du pouvoir est la règle la plus universelle dans une démocratie. Les Français ont ainsi remercié une personnalité aussi exceptionnelle que celle du général de Gaulle lors du référendum du 27 avril 1969. Par conséquent, en organisant méthodiquement depuis 2017 son tête-à-tête avec l’extrême-droite et l’extrême-gauche, il est inévitable que le macronisme aboutisse à moyen terme à l’arrivée aux responsabilités de partis extrémistes.
Alors que notre pays connaît un blocage politique sans précédent depuis 1958 et que l’extrême-centre aura réussi l’exploit de donner à notre Vème République un caractère d’instabilité, de paralysie et d’impuissance digne de la IVème, que faire ?
Un gouvernement « d’union nationale » allant de la gauche républicaine (à l’exclusion de La France Insoumise (LFI)) à la droite républicaine (Les Républicains ayant refusé toute compromission avec le Rassemblement national) irait dans le sens d’une hégémonie complète de l’extrême-centre sur les partis de gouvernement et réaliserait son rêve ultime de réunir la droite et la gauche sous une même bannière centriste. Cette option renforcerait les extrêmes qui seraient, encore davantage à l’avenir, les seules forces d’alternance possibles. Elle n’aurait idéologiquement aucun sens tant les programmes entre les membres de la coalition gouvernementale diffèrent. Ce consensus mou aurait pour conséquence le nivellement de tous dans un magma politique informe. Le succès populaire des Jeux Olympiques s’explique précisément par le fait qu’ils n’ont rien à voir avec la politique partisane. Il n’est pas transposable. Si une équipe d’organisation d’un grand évènement sportif peut être transpartisane, ce n’est pas le cas d’un gouvernement qui a pour mission de trancher les nœuds gordiens auxquels notre pays fait face sur les questions de dette publique, d’immigration ou de fiscalité, ce qui implique un minimum de cohésion et de cohérence idéologique. Le grand succès populaire de la coupe du monde de football en 1998 n’a pas empêché Jean-Marie Le Pen d’accéder au second tour de l’élection présidentielle quatre ans plus tard et si des gouvernements dépassant largement les clivages partisans ont existé dans notre Histoire, c’était au temps de « l’Union sacrée » pendant la Première guerre mondiale ou à la Libération sous l’autorité du général de Gaulle.
L’autre solution consiste à contraindre le macronisme à sortir de l’extrême-centre et à, enfin, choisir son camp en réintroduisant le clivage idéologique entre la droite et la gauche, indispensable pour retrouver une vie démocratique équilibrée et préservée des extrêmes quels qu’ils soient. Elle passe par une configuration qui existe dans d’autres démocraties européennes, celle d’un gouvernement minoritaire, résultat de cette dissolution de l’Assemblée nationale, avec des majorités d’idées, texte par texte, sur le modèle du pacte législatif proposé par la droite républicaine.
Il est également indispensable que des forces politiques qui n’appartiennent pas aux extrêmes soient en capacité, à l’avenir, d’incarner une alternance crédible au macronisme, ce qui implique leur absence de participation au prochain gouvernement, à l’image du Rassemblement du Peuple Français (RPF), la formation politique du général de Gaulle, qui a toujours refusé de participer à des gouvernements sous la IVème République pour être en capacité, le moment venu, de représenter une alternative pour les Français.
Il ne nous faut pas perdre de vue que le meilleur rempart contre l’extrême gauche est la social-démocratie, le meilleur barrage à l’extrême-droite, la droite républicaine, et en aucun cas l’extrême-centre qui, depuis 2017, est le premier agent électoral des deux autres extrêmes tout en prétendant les combattre.
Article publié dans l’Opinion du 27 août 2024. Lien vers l’article : https://www.lopinion.fr/politique/sauver-la-france-de-lextreme-centre-par-aurelien-caron
Version courte de l’article parue dans Le Courrier Picard du dimanche 1er septembre 2024 : https://www.courrier-picard.fr/id554720/article/2024-08-30/sauver-la-france-de-lextreme-droite-de-lextreme-gauche-et-de-lextreme-centre