« Ce n’est pas une honte de ne pas être membre de l’Union européenne » expliquait l’ancien président de la République tchèque Václav Havel dans une interview au Monde le 23 février 2005. La question des frontières de l’Union européenne est revenue au cœur de l’actualité. Dans un entretien au Figaro Magazine, Nicolas Sarkozy a déclaré que l’Ukraine devait à terme « rester neutre » et qu’elle n’avait pas vocation à rejoindre l’Union, ni même l’OTAN, mais à devenir un « trait d’union entre l’Est et l’Ouest ». Lionel Jospin lui a reproché de « servir les intérêts du pays agresseur » (Le Figaro, 25/08/2023).
L’Ukraine a demandé son adhésion à l’Union le 28 février 2022 soit quatre jours après l’agression russe. La Moldavie et la Géorgie ont fait de même. En juin 2022, le Conseil européen a affirmé que « l’avenir de ces pays et de leurs citoyens réside dans l’Union européenne » et a accordé le statut de pays candidat à l’Ukraine et à la Moldavie. Ils ont rejoint la liste des candidatures : Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Albanie, Bosnie-Herzégovine, sans oublier la Turquie, pays candidat depuis 1999…
Pour que l’Union européenne devienne une grande puissance mondiale, il est indispensable de mettre fin à cet « élargissement inéluctable » comme l’appelle Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman. L’Union a besoin de frontières claires. C’est sans doute dans l’intérêt de l’Ukraine de devenir membre de l’Union, également dans celui des Etats-Unis, mais pas dans celui des Européens.
Dans les prochaines années, l’Europe aura besoin de davantage d’intégration et de solidarité entre ses membres, pas de nouveaux élargissements. Elle a perdu, avec le Royaume-Uni, l’un de ses membres les plus anciens. Elle fait face à la montée inquiétante de partis eurosceptiques dans ses Etats fondateurs, qu’il s’agisse du Rassemblement national (RN) en France ou d’Alternative pour l’Allemagne (AFD), aux portes du pouvoir outre-Rhin, qui la décrit comme un « projet en faillite ». Le grand élargissement à l’Europe centrale et orientale de 2004 et de 2007 n’est pas bien digéré. La Commission européenne estime qu’il faudra encore une trentaine d’années pour combler les écarts économiques entre les anciens Etats membres de l’Ouest et les nouveaux Etats membres de l’Est. Sans parler des cas de la Hongrie et de la Pologne, dont les gouvernements ont théorisé la démocratie « illibérale » et portent atteinte, au sein même de l’Union, aux valeurs européennes communes.
L’Union européenne doit soutenir le courageux peuple ukrainien contre l’agresseur russe. Elle devra ensuite aider l’Ukraine à se reconstruire, à se relever économiquement et à obtenir des garanties pour sa sécurité. Ce soutien fraternel peut se faire en dehors d’une perspective d’adhésion à l’Union dans le cadre d’un partenariat privilégié. Pour préserver l’avenir du projet européen, il faut avoir le courage de reconnaître que l’Union n’a plus la capacité à assimiler de nouveaux membres. Comme le disait, dès 2006, Dominique de Villepin : « Il n’existe aucun droit naturel, aucun droit historique à entrer dans l’Union. Et la promesse de l’élargissement ne doit pas être le seul élément de stabilisation des régions voisines de l’Europe ».