Aurélien Caron, d’Amiens (Somme), plaide pour la réindustrialisation de nos territoires :
« Entre 1995 et 2015, le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel. Des quantités de communes et de vallées industrielles ont été rayées de la carte. D’innombrables savoirs-faire ont disparu, les filières se sont désagrégées, la société toute entière s’est détournée de l’industrie, synonyme de défaite ». C’est ainsi que Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement (BPI), décrit dans son dernier livre – « La désindustrialisation de la France », 2022 – la tragédie industrielle que nous avons vécue. Depuis cinquante ans, la France a perdu environ 2,5 millions d’emplois industriels et la part de notre industrie dans notre richesse nationale a été réduite de moitié (de 22 % à 11 % de notre produit intérieur brut (PIB). Avec le Royaume-Uni, notre pays est aujourd’hui l’économie la plus désindustrialisée du G7.
Cette désindustrialisation a profondément marqué notre territoire avec des fermetures emblématiques et douloureuses : Saint-Frères, Goodyear, Whirpool et tant d’autres. Pendant des années, le discours dominant a été celui du mirage d’une société post-industrielle exclusivement tournée vers les services. On a pu faire croire qu’une nation pouvait être puissante sans être industrielle, que nous pouvions nous contenter d’être des consommateurs en oubliant d’être d’abord des producteurs et qu’après tout, nous pouvions bien tout importer ! Pourtant, c’est l’industrie qui garantit notre souveraineté et notre autonomie stratégique. L’Europe l’a redécouvert à ses dépens au moment de la crise sanitaire lorsqu’elle a réalisé qu’elle était dépendante de pays tiers pour se fournir en masques, en équipements de protection et en médicaments essentiels.
Les entreprises industrielles sont un poumon économique pour nos territoires : un emploi industriel créé génère en moyenne trois nouveaux emplois dans les services privés ou publics. C’est l’industrie qui permettra de rééquilibrer notre balance commerciale puisqu’elle représente presque 70 % de nos exportations. Enfin, l’industrie c’est une identité, une fierté, des paysages et des souvenirs pour toute une population. Réaménager les friches industrielles, réduire les délais administratifs d’implantation des projets, encourager la formation et l’apprentissage, toutes ces mesures sont utiles mais elles demeurent insuffisantes. La réindustrialisation se joue aussi au niveau européen où l’Union européenne doit cesser d’être « l’idiot utile » de la mondialisation et assumer une politique beaucoup plus volontariste face à la Chine et aux Etats-Unis qui ne reculent devant rien pour soutenir leurs industriels.
Alors pourquoi pas nous ? Inscrivons la préférence européenne dans nos marchés publics, réformons le droit de la concurrence et élargissons les possibilités d’aides publiques aux entreprises qui laissent encore une trop grande place au mythe du libre-échange heureux, Osons, si nécessaire, le protectionnisme européen dans certains secteurs. Nous devons résoudre le paradoxe qui consiste à afficher un objectif d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 et de réindustrialisation massive. Pour se redévelopper, l’industrie a besoin de foncier. Comme l’écrivait Jean-Pierre Chevènement : « Ce qui est à la racine de la désindustrialisation de la France, c’est la perte profonde de patriotisme. » A cet égard, nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour soutenir ce grand projet qu’est la réindustrialisation de nos territoires au service de la transition écologique en changeant profondément notre regard sur l’industrie qui n’est pas synonyme de défaite mais de victoire !